Depuis novembre 2015, la placide Cité Internationale, orchestre chaque soir l’un des dîners les plus fous-food de la ville, proposant aux explorateurs du goût un menu à l’aveugle à déguster… dans le noir.

Nom de code de cette dark room bien sous tous rapports ? La Table en braille.

Pfffff, on vous entend d’ici. « Déjà fait », « testé », « pas nouveau », « expérimenté au Sucre il y a quelques mois ». Oui mais non. Si une petite poignée d’établissements de la région s’est déjà prêté à l’exercice, le temps d’une ou plusieurs soirées, la Table en braille est le premier restaurant pérenne à tenter le coup de la panne générale en continu. Surtout, il ne s’agit pas simplement d’enfiler un masque ou un bandeau pour s’attabler dans une pénombre relative.

Niet.

Laurent Trabalzini, l’initiateur du lieu voulait le noir complet. Absolu. Sidéral. Limite flippant. Complètement emballé par le concept du black-out testé à Barcelone, il a fait le tour de France des adresses proposant ce type de dîners pour peaufiner son projet.

Et tant qu’à jouer la carte du noir, « il fallait le faire à fond », appuie le créateur qui a passé de longs mois à travailler le recrutement, puis la formation, d’une serveuse non-voyante de 26 ans : Manon. C’est elle et elle seule, qui guide les convives puis évolue en salle.

Pour pénétrer le saint des saints, il faut d’abord passer l’espace brasserie de Joa puis descendre l’escalier. La Table en braille se planque ici, sans fenêtres ni lueur parasite.

Pas d’allergies ? D’aliment honni ?

Go ! On pose manteaux, sacs, montres phosphorescentes et téléphones (source de lumière potentielle) au casier pour que « l’expérience soit totale ».

Manon se présente, tout sourire et nous invite à poser la main sur son épaule. Tous à la queue leu-leu (non, n’y pensez même pas), option petit train ou chenille, au choix.

Soyons honnêtes, au moment de passer le sas, constitué d’épais rideaux occultants, on fait moyen les malins.

Bam. Le noir est paradoxalement aveuglant et on perd en une seconde tous ses repères. Manon nous guide et nous installe à table, nous indiquant où se trouvent verres, eau et corbeille de pain.

Premier réflexe ? On tend les mains pour toucher ce qui se trouve devant nous. Sécurité oblige les verres sont en plastique et on goûte le premier vin, qu’on décrète blanc, sans trop savoir quoi faire. Autour de nous le volume sonore oscille entre chuchotements et éclats de voix. Sans marques visuelles on monte en effet rapidement dans les décibels, comme pour s’assurer qu’on capte bien l’attention de la personne en face.

Arrive l’entrée qu’on récupère des deux mains pour la poser devant nous. Et là, désœuvrement. On tâtonne, on prend la fourchette, on tente une approche et on la repose avant de se lancer à pleines mains. On hume aussi, bien plus sensible aux odeurs. D’ailleurs ça sent le poisson et la texture semble nous donner raison. On appuie, on soupèse, on effleure avant de parier sur une saint-jacques crue en carpaccio. On reconnaît aussi la silhouette (puis le goût) de l’asperge, le granulé d’une purée de melon et le croquant salin du parmesan. La pomme, taillée en julienne, on la devine du bout des doigts avant de confirmer au premier coup de dent. Entre deux morceaux on s’interpelle, « c’est quoi ça ?», on ricane et on prend de l’assurance. On s’enhardit à se servir de l’eau (en collant bien le bec au verre) et on s’étourdit de l’obscurité au point de parfois fermer les yeux, fatigués de sans cesse chercher où se poser.

Manon arrive à pas de souris à nos côtés, débarrasse puis nous glisse le plat. C’est du veau et j’en ai plein les mains, contrairement à monsieur, en face, qui m’assure se servir de ses couverts. Impossible à vérifier de toute manière et puis c’est franchement ludique, voire carrément régressif de se pourlécher les doigts à chaque bouchée. On énumère les ingrédients du plat : épinards, pommes de terre sautées, artichauts, purée de panais et sauce au poivre. Les goûts sont bien marqués, on est plutôt à l’aise et on sirote bien cools le deuxième verre de vin, « un rouge, plutôt du sud ».

La salle, 24 couverts maxi, se vide peu à peu. Comment on le sait ? Aux discussions de moins en moins nombreuses.

Pour le dessert, on est rôdés, on distingue les fraises, la chantilly, un peu de chocolat et on évoque la rhubarbe en purée, plus par déduction saisonnière qu’au goût, avouons-le.

On se trouve plutôt bons du palais mais c’est là qu’on mesure vraiment toute la difficulté de l’épreuve de la boîte noire de Top Chef (pas la peine de faire la moue, vous voyez parfaitement de quoi on parle).

Because on aurait été incapables de deviner comment les assiettes étaient dressées. D’autant plus quand on les découvre en photo à notre retour, presque un peu sonné, dans la lumière et le monde des voyants.

L’autre surprise ? On est restés aveugles beaucoup plus longtemps que ce que l’on imaginait.

Au final : un vrai moment hors du temps, où l’on décortique les goûts plus qu’on ne les apprécie ensemble.

Complètement déstabilisant mais vraiment détonnant. A réserver… les yeux fermés.

La touche geek : Le bilan post-repas sur tablette avec le maître des lieux, Laurent Trabalzini himself. C’est lui qui assure le défilé des visuels de nos assiettes, jubilant comme un gamin quand ses « pièges » ont pris.

La touche food : On a presque tout bon au débriefing. Sauf que le blanc était en réalité un rosé, et que le veau… vivait jadis dans la mer sous la forme d’un thon !


La Table en braille – Cité Internationale, 44 quai Charles-de-Gaulle, Lyon 6e. Tél : 04 72 39 92 31. www.comptoir-joa.fr/lyon et www.table-enbraille.fr – Menu unique à 42 € par personne comprenant 1 entrée + 1 plat + 1 dessert + 2 verres alcoolisés ou non.


2 réponses

    1. Le concept existe effectivement ailleurs dans le monde, les Lyonnais vont maintenant pouvoir le tester à leur tour. Si vous y allez n’hésitez pas à nous dire ce que donne la comparaison !

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